Dispute, séparation, déménagement, maladie… : il est difficile de savoir ce qu’un tout-petit entend, comprend, saisit de ce que nous vivons ! Ce qui est certain, c’est qu’il a besoin de nos mots pour bien grandir et construire peu à peu sa pensée. Explications, conseils et témoignages à lire dans le supplément pour les parents du magazine Popi…
Pourquoi parler aux bébés ?
Au cœur du service de néonatalogie, des couveuses, des machines, des tuyaux, des écrans, des bruits étranges… et ces bébés, nés trop tôt. Autour d’eux, tout un monde de spécialistes s’affaire. Les parents sont là, intimidés. Les engins prennent toute la place, les empêchant d’entrer en relation avec leur bébé. Pourtant, c’est vital pour ces petits. Longtemps attachée au service néonatalogie du Centre Hospitalier de Roanne (Loire), la psychologue Annick Simon est là pour aider les parents à nouer un premier lien avec leur enfant. Des anecdotes qui démontrent l’importance de la parole pour un tout-petit, elle en a plein !
Comme l’histoire de cette maman qui, tous les jours à 16 heures, venait voir son bébé prématuré. Un jour, un rendez-vous médical perturbe cette régularité et, à 16 heures, du fond de sa couveuse, le bébé se met à hurler. La psychologue s’adresse alors à l’enfant : “Oh, j’ai oublié de te dire : aujourd’hui, ta maman ne peut pas venir te rendre visite, elle voit le médecin, c’est important.” Aussitôt, le bébé s’est arrêté de pleurer. Qu’a-t-il perçu, compris ? “Sans doute pas les mots un par un, concède Annick Simon. Mais les bébés ont besoin de la musique des mots, de notre voix, de notre intonation. Pour que passe notre émotion, nous avons tous besoin des mots.” La parole et la relation sont cruciales pour les bébés. Pourtant, parfois, quelque chose nous retient de leur parler. Pourquoi ?
“Dans la rue, au parc, j’observe des parents qui promènent leur bébé en poussette comme si c’était un objet…”
Pris dans nos pensées, nos obligations, notre emploi du temps minuté, nous interrompons sans explication le jeu sur le tapis du salon et… hop, dans la voiture ! Hop, au supermarché ! Hop, on enchaîne avec le rendez-vous chez le médecin ! Et ainsi de suite. L’enfant est “trimballé” sans comprendre. “Dans la rue, au parc, j’observe des parents qui promènent leur bébé en poussette comme si c’était un objet, sans s’adresser à lui, constate Annick Simon. Les écrans des téléphones ne facilitent pas la chose : on parle à côté de lui, au-dessus de lui, à quelqu’un d’autre…”
Ne pas se taire… pour protéger
Dispute, séparation, chômage, maladie, décès… Souvent, on est tenté de passer sous silence certains événements parce que, vu leur âge, on pense qu’ils ne sont pas concernés et on souhaite les protéger : “Tous les psys reçoivent dans leur cabinet des adultes qui, un jour, évoquent un souvenir d’enfance où rien n’a été dit. Ils racontent cette souffrance du silence.” La pédopsychiatre Marie-Noëlle Clément utilise une métaphore pour décrire ce qui se passe pour l’enfant à qui on n’a pas parlé : il est “comme le spectateur d’un film en langue étrangère sans sous-titres”. Quelqu’un n’est plus là, l’ambiance a changé, le comportement de Papa n’est plus le même, mais il ne comprend pas pourquoi…
Mettre des mots sur l’événement donne un sens à ce qu’on ressent : “Je suis triste et j’ai peur, parce que Papi est très malade.” Sans cela, le langage ne se construit pas, les pensées ne se mettent pas en place et les émotions restent à l’état brut, plus douloureuses.
Tout-petit : un langage à décrypter
Pas la peine de noyer son petit de paroles en commentant nos moindres faits et gestes ! On peut très bien dire des choses comme : “Tout à l’heure, je me suis mis en colère, j’ai crié, et je sais que tu n’aimes pas les cris.” Si les choses sont difficiles à dire, autant se faire accompagner. Par un proche (une grand-mère, un oncle… ) qui, rien que par sa présence, apportera un soutien. Ou par un professionnel (psychologue, médecin…).
Et n’oublions pas que “parler au bébé, c’est un dialogue” ! Annick Simon invite ainsi les parents à affûter leur sens de l’observation : même petit, le bébé répond, réagit. Silences, mouvements, émotions, pleurs, colères… C’est tout un langage à décrypter. Comme cette fillette de 2 ans à qui sa maman annonce la naissance future d’une petite sœur : rien, aucune réaction visible. Faut-il répéter la phrase ? Non, c’est juste que certaines nouvelles demandent du temps pour être digérées. “Les silences de l’enfant sont importants aussi. Et si nos mots ont touché juste, analyse la psychologue, cela se traduit en général par un apaisement : l’enfant se pose, repart vers un autre jeu, tranquillement. Il faut faire confiance aux petits !”
Témoignage : “Mon fils devait sentir mon apaisement”
Alexia, maman d’Adèle (8 ans), Diane (4 ans) et Antoine (9 mois)
“Antoine est né dix jours après le diagnostic de leucémie aiguë de sa grande sœur Adèle. Toutes les nuits, quand il se réveillait, je lui parlais. Je lui expliquais ma peine, mais aussi ma joie de le savoir parmi nous. Je lui demandais pardon pour les mois à venir, où nous serions parfois séparés. J’ai passé des nuits entières à le bercer et à lui parler. Cela me faisait du bien, et je pense que mon bébé devait sentir mon apaisement. Mettre des mots sur cet enfer qui s’abattait sur nous était nécessaire pour nous deux. Mon fils ne comprenait pas mes mots, mais je suis certaine qu’il comprenait l’intention derrière mes paroles.”
Des livres pour aller plus loin
• Par Annick Simon : La psy qui murmurait à l’oreille des bébés et Accompagner le développement du petit enfant (Dunod).
• Par Marie-Noëlle Clément : Comment te dire ? Savoir parler aux tout-petits (Philippe Duval).