Que se passe-t-il entre le premier cri de votre tout-petit et son premier mot ? Comment se noue la communication et comment naît le langage ? Décryptage dans le supplément pour les parents du magazine Popi…
Avant la naissance
Quelle surprise pour cette petite fille de 4 ans qui réalise que sa petite sœur commence à se faire comprendre ! Eh oui, le bébé apprend à parler sans qu’on l’inscrive à un cours. Pour lui, les leçons commencent avant même sa naissance, dans le ventre de sa mère.
Certes, la compréhension des mots viendra plus tard, mais ce n’est pas parce que le bébé ne comprend pas les mots qu’il ne faut pas lui parler – autrement, c’est bien simple, il ne parlera pas ! Précisons aussi qu’entendre la radio, la télévision, une conversation, n’a pas du tout le même impact qu’être le destinataire direct des paroles. Le nourrisson repère lorsqu’on s’adresse à lui, de près, en le regardant. Et assez rapidement, il reconnaît son prénom.
Le visage parle
La communication n’est pas faite que de mots, elle est “audiovisuelle”, résume Olivier Pascalis, directeur du Babylab de Grenoble qui étudie, entre autres, les liens entre acquisition du langage et traitement des visages.
“La parole n’est qu’un outil de communication parmi d’autres”, explique-t-il. L’enfant voit le visage, les lèvres, les mimiques, la gestuelle. Il distingue les différentes voix de son entourage, en repère les variations (voix souriante, neutre ou pas contente). Ainsi, lorsqu’on dit à un tout-petit :“Je t’emmène à la crèche, et je reviens te chercher à 18 heures”, il n’est pas prouvé qu’il comprend les mots. Mais il perçoit le ton, le calme, et cela le rassure : l’objectif est atteint. La communication est avant tout affaire de relation.
Il a dit “Papa” !
A-t-il dit “Maman” ou “Papa” en premier ? Chacun aimera à croire la version qui le flatte… Ce qui est sûr, c’est que le bébé, lui, aura articulé et répété des syllabes comme da-da, pa-pa, ba-ba et ma-ma. Il est même programmé pour ça !
“À la naissance, explique Olivier Pascalis, la bouche est faite pour téter, avec une position de la gorge particulière qui l’empêche de s’étouffer. Puis cela se modifie, et l’enfant apprend peu à peu à contrôler son appareil phonatoire.” Son système moteur s’entraîne à articuler des sons aux alentours de 8 mois.
Le bébé babille, et ce babil est repris par les parents : ce sont eux qui mettent une intention derrière les syllabes pa-pa-pa-pa et ma-ma-ma-ma. L’enfant va intégrer cette intention et peu à peu la faire sienne : la correspondance entre la répétition de pa avec le père se crée. Raison pour laquelle, dans toutes les langues ou presque, les parents sont désignés par quelque chose comme papa, dada, baba et mama. Fascinant, non ?
“Maman va donner la purée à Bébé”
Durant sa grossesse, Anna s’était promis de ne jamais parler “nian-nian” à son bébé. Mais une fois que son fils est né, elle s’est surprise à adopter une voix différente et des mots particuliers… “S’ajuster à son interlocuteur, c’est naturel, rassure la linguiste Aliyah Morgenstern (voir “À lire”). Pour s’adresser à un bébé, on use spontanément de stratégies : une voix plus aiguë modulée, avec des variations de hauteur accentuées. Cela plaît aux bébés, qui sont sensibles à la musicalité et aux fréquences les plus élevées, celles qui pénétraient le ventre de leur maman.” Pas étonnant que les comptines pour enfants soient très rythmées et mélodiques.
“Dans toutes les langues, renchérit Olivier Pascalis, on parle le mamanais.” En plus du ton qu’on emploie, les choix lexicaux sont adaptés, la syntaxe est plus simple, plus explicite. Par exemple, on va remplacer les pronoms personnels par les prénoms des personnes : “Papa va chercher le pyjama de Léo.”
Pour Aliyah Morgenstern, il ne faut pas juger sévèrement ces pratiques : “Faire cela, c’est adopter une stratégie d’accompagnement du développement cognitif et linguistique de son enfant.” Mais il ne faut pas oublier d’arrêter… À 4 ans, votre enfant n’a plus besoin de vous entendre dire : “Maman va préparer le repas de Juliette” !
Élargir le cercle
Sébastien a noté la date des premiers mots de sa fille… 25 mars 2019 : bronbron = biberon ; poutu = voiture. Mais il a vite cessé… Quand le bébé commence à prononcer ses premiers mots, cela s’enchaîne à toute allure.
Attendris, on adopte sa prononciation défaillante, et des mots nouveaux s’introduisent dans la culture familiale : “Tu veux boire ton bronbron ?” Les parents sont les plus à même de comprendre les borborygmes de leur bébé : “Ils décryptent, projettent, complètent, interprètent, aident. Ils étayent la construction du langage et c’est nécessaire, souligne Aliyah Morgenstern. Le risque, c’est que les enfants s’installent dans quelque chose de confortable.” D’où l’importance de reformuler ses phrases : “Tu as dit que tu voulais un biberon, c’est bien ça ?”
Il est surtout important, reprend la chercheuse, “que l’enfant interagisse avec des adultes qui ne le connaissent pas suffisamment pour compléter ses phrases. Cela va le forcer à expliciter”. La crèche, la nounou, l’école remplissent ce rôle essentiel, de même que les moments de lecture partagés…
À lire
Aliyah Morgenstern est linguiste, spécialisée dans l’acquisition du langage chez l’enfant. Sa mère, Susie Morgenstern, est auteure – célèbre – de littérature pour la jeunesse. Elles ont écrit ensemble cet album pour expliquer aux enfants comment la parole leur est venue. Serge Bloch, qui parle le langage des images, l’a illustré. La jaquette se déplie en une frise détaillant les différentes étapes que traverse l’enfant qui apprend à parler.
Pour les enfants à partir de 6 ans et… leurs parents !
“La la langue. Comment tu as appris à parler”, Aliyah Morgenstern, Susie Morgenstern et Serge Bloch, Saltimbanque éditions 2019, 13,90 €.